Corpus 1- Fragments d'invisibles
- Kim Leleux

- 3 août
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 août
Fragment 1
"Memento de chair"

Sous la peau fripée des fruits, un visage ancien remonte à la surface. Les chairs se mêlent à la terre. Les couleurs éclatées parlent d’un festin passé, maintenant retourné au silence.
C’est un corps sans cri, une mort sans fracas, un effondrement qui sent la pulpe et l’humus.
La honte se faufile ici, dans les rides de la peau flétrie, là où la beauté n’a plus d’affaire.
Réflexion symbolique
Cette image convoque une honte prométhéenne inversée : non pas celle d’être dépassé par les machines ou la technique, mais celle d’être simplement, inexorablement, un corps mortel.
Ce moment où l’on se rappelle que, sous l’idéal social du corps sain, performant, désirable, il y a la décrépitude à venir.
La décomposition de la matière végétale fait ici miroir à notre propre disparition, une vérité organique que la société s’acharne à maquiller.
L’image se fait memento mori, mais aussi memento humani : elle réinscrit la honte dans le cycle naturel, dans cette part de nous que l’on voudrait dissimuler sous le vernis du contrôle.
Elle interroge notre rapport à la chair, à la perte de forme, à ce que l’on appelle “déchet”.
Comme l’écrit Julia Kristeva, la honte s’ancre parfois dans l’“abject”, ce qui, ni sujet ni objet, trouble l’identité et menace les frontières.
Le fruit pourri en est une image parfaite : il fut vivant, il est encore quelque chose, mais il n’est plus ce qu’il était. Il est “entre”.
Lien au processus Fragments d’invisibles
Ce fragment explore une honte archaïque, silencieuse, qui ne s’énonce pas mais se sent : celle de la dégradation, de la perte de dignité biologique. Il participe du processus de déplacement initié dans Fragments d’invisibles : sortir d’une honte sociale ou morale, pour entrer dans une honte cosmique, presque ontologique.
La matière pourrissante devient une matière à penser, un support de méditation visuelle : jusqu’où acceptons-nous de regarder la finitude ?
Et qu’est-ce que cela révèle de notre lien au corps ?
Technique
Appareil photo reflex numérique
Objectif 35 mm
Superposition générée par IA (crâne)
Retouches Photoshop : pinceaux, densité de couleur, mise en relief des textures

Fragment 2
" La fleur profanée"

Elle aurait dû être lumière.Elle aurait pu rester debout, parmi les autres, tournée vers le ciel. Mais la voilà tombée, offerte au sol, tachée de noir.
Il y a dans sa chute une douceur étrange, une dignité presque douloureuse.
Ce n’est pas l’échec. Ce n’est pas la fin. C’est le moment exact où quelque chose a basculé.
Réflexion symbolique
La fleur ici est double : elle est beauté naturelle, et projection culturelle.
Dans de nombreuses traditions, la fleur évoque le féminin, l’éveil, la sensualité, voire la virginité. Lorsqu’elle est à terre, fanée ou salie, elle devient figure de profanation, de ce qui a été abîmé, peut-être touché trop tôt, ou trop violemment.
Les taches noires viennent comme des stigmates, elles évoquent la honte d’avoir été exposée, altérée, salie. Une honte liée à l'image de soi, à l’écart entre ce que l’on voudrait incarner (pureté, intégrité, harmonie) et ce que le monde imprime sur nous (jugement, projection, souillure).
La sociologue Nathalie Heinich parle d’atteinte à l’intégrité symbolique : cette image la met en scène. Ce n’est pas tant la chute qui fait honte, mais ce qu’elle signifie : l’altération du regard porté sur soi. On n’est plus dans la pure beauté, mais dans une beauté hésitante, entamée, confrontée à la terre.
En complément, une série d’images montre cette fleur dans un entrelacs de gestes.
Des doigts la touchent, l’ouvrent, l’approchent. Ces gestes peuvent sembler doux… mais le cadre est serré, le flou inquiète, la fleur se plie.
On ne sait plus si c’est une offrande ou une emprise. Un soin ou un accès de trop.
Ces photographies suggèrent une autre couche de honte : celle du corps victime, du féminin touché sans demande, du trop-vu, du trop-pris.
La honte ici n’est pas celle de l’agresseur, mais celle de celle qui subit, et à qui on fait croire que c’est elle qui porte la faute.
C’est une blessure sociale, culturelle, intime. Une honte qui ne devrait pas être là, mais qui s’ancre dans la mémoire du geste, dans la trace laissée par l’autre sur soi.
Lien au processus Fragments d’invisibles
Ce fragment ouvre sur la honte du visible contaminé. Il explore la tension entre l’apparence et l’être, entre le masque social et la dégradation intime.
La fleur, objet souvent idéalisé, devient le support d’une inversion : elle est toujours elle-même, mais l’œil hésite, le sens se trouble.
Dans Fragments d’invisibles, cette image témoigne d’un mouvement de désacralisation douce : on commence à déranger les formes lisses, à interroger ce qu’il y a derrière les apparences.
La honte se glisse ici dans l’écart, entre l’idéal de soi et le réel qui s’impose, entre la surface et la tâche.
Technique
Photographie numérique avec reflex et objectif 35 mm
Retouches sur Photoshop (utilisation de pinceaux pour les éclaboussures, ajustements de teintes et saturation)
Apport IA pour certaines textures d’ombre et d’humidité
Fragment 3
" Chair ouverte"

On dirait un fruit.On dirait une blessure.
Ce n’est pas grand-chose, juste une ouverture.
Mais ce qui s’ouvre ici n’est pas qu’un fruit. C’est un corps possible, une intimité mise à nu.
Et soudain, un léger malaise : a-t-on le droit de regarder ?
Réflexion symbolique
Ce fruit fendu évoque la honte du dévoilement. Non pas le dévoilement spectaculaire, mais celui qui surgit dans l’ambiguïté, à la limite du regard, entre attraction et gêne.
Il y a ici quelque chose de pulsionnel, presque sexuel, mais sans vulgarité : une chair douce, offerte, vulnérable.
C’est une image de l’intimité entrouverte, volontaire ou non. Elle fait surgir la question du consentement du regard : ce que je vois, est-ce qu’on m’autorise à le voir ? Cette ambivalence active une forme de honte subtile, celle de se laisser voir dans sa vérité fibreuse, imparfaite, presque trop humaine.
Dans le sillage de Georges Bataille, qui voit dans l’érotisme “l’approbation de la vie jusque dans la mort”, cette image dit quelque chose de cette tension vitale : ce qui s’ouvre s’expose, et ce qui s’expose risque la blessure.
On n’est pas loin du sacrifice, ou du fruit sacrifié. Et la honte devient ici presque une émotion mystique, celle d’être vu.e dans sa tendresse intérieure, sans carapace.
Lien au processus Fragments d’invisibles
Ce fragment explore la honte du trop-vu, ou du trop-intime. Il marque un basculement : après la honte de la matière en décomposition, la honte de l’image souillée, voici celle de l’ouverture offerte.
Il témoigne d’une honte délicate, sensorielle, qui pourrait surgir dans l’amour, la création, la parole vulnérable.
Cette image participe du processus de déplacement de Fragments d’invisibles en montrant que la honte n’est pas toujours liée à l’échec ou à la chute, elle peut naître dans le simple fait d’être perçu.e de trop près.
C’est une honte du seuil, du presque-rien, du visible à fleur de peau.
Technique
Appareil reflex numérique, objectif 35 mm
Légère assistance IA pour accentuer les textures internes (fibres, jus, ombrages)
Retouches Photoshop : couleurs chaudes, modelé de lumière, adoucissement de la peau du fruit
Participer à la recherche : répondre au questionnaire
Prendre contact : +32472699552













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