top of page

Corpus 8 - Transformations spontanées

Fragments d'une honte personnelle


Septembre 2025.


Je me replonge dans un travail ancien, une surimpression intitulée Remords et oublis.

En la redécouvrant, un sentiment de honte surgit.

Je suis nulle, une artiste ratée, une femme, une mère solo incapable de produire, créer et éduquer son enfant.

Pourquoi je pense à ça ?

Parce que je n’ai pas la reconnaissance de la société ?

Parce que je n’ai pas la validation des pairs ?

Parce que je ne rentre pas dans le moule ?

D’où vient ce dégoût de moi ?


Je regarde la photographie : une femme (moi) qui essaye de se cacher. Elle croit qu’elle ne convient pas. Elle se protège de la lumière, dans un couloir abandonné, entre des murs délabrés.


Puis-je échapper au regard ?

Puis-je échapper à la honte ?


Un vide se creuse dans mon ventre et sur l’image. Alors je commence à découper. Je cherche à symboliser. À donner à mon cerveau de nouvelles informations, à combler l’incompréhension.

Je choisis des images entre lumière et ombre.

Le brouillard mental s’installe.

Qu’est-ce qui me rend honteuse ?


Mes larmes deviennent sirènes, elles s’échappent par le bas, rentrent dans la terre pour se cacher.

Mais aucune issue possible : on me regarde.

Et si je ne fais rien, ma honte me tuera.


ree

Quelques jours plus tard.


Quelque chose s’est déplacé. Un calme est venu quand j’ai placé une photo de moi en bas de l’image, comme si mes cris s’apaisaient. Alors que mon statut de mère m’oppresse, je crée avec de vieilles photos de famille.

Ma mère, ma grand-mère, mes tantes. Je découpe dans mon précédent projet "l’origine des rôles" et je reconstitue une autre image. J’efface les visages des hommes ; mon grand-père, mon oncle, les figures d’autorité.

Je compose trois petits formats. Je les regarde : ils sont remplis de nostalgie et de vide.

Pourquoi le vide me saute-t-il aux yeux ?

Est-ce du fait que la honte s’est déplacée ?


Dans l’une des images, un intrus : un fragment de magazine. Il me saute aux yeux.

Comme s’il me disait : l’emprise de la honte vient de l’extérieur. Qu’il est possible de couper le lien.

Quel lien ?

Et comment ?



30 septembre.


Je découpe des corps dessinés sur des mots. Je replonge dans l’archétype de la parfaite, et la honte qui lui colle au corps.

Faut-il être parfaite pour vivre dignement dans ce monde ?

La perfection touche le corps, mais aussi l’être.

Suis-je une mère suffisamment bonne ?

Je pense à ma lignée féminine, à l’ennui du vide, et je sens que l’évolution dans l’altération me donne une autre manière de penser cette honte, non plus comme une prison mortifère, mais comme un moyen d’évolution.

Une élévation consciente.

La compréhension de mon histoire m’éclaire.

Mon regard change.


Et si mon regard change, le regard de l’autre et de la société ne m’appartient plus.


ree
ree





































14 octobre.


Je suis restée bloquée dans ma tête.

Comment communiquer sur mon projet ?

Quelle est mon intention de recherche ?

Je veux transformer ma honte en art, mais parfois, mon art me regarde et la honte ressurgit.


Pour le monde de l’art, je ne suis pas suffisante.

Pour le monde de la science, je ne suis pas suffisante.

Pour la société, je ne suis pas suffisante.

Je ne suis pas suffisante dans le regard de mes parents, et bientôt dans celui de mon enfant.


Quinze jours sans transformation.


Puis, un sursaut. J’ajoute de la couleur, de la lumière : basta la honte sociale. Je m’en fous, tu ne me tueras point. J’y place mon enfant, pleine de joie et de curiosité : basta la honte familiale.


ree

La honte de n’être pas conforme, pas assez artiste pour l’institutionnel, je la peins, je la colle, je la fabrique.

Et dans ce geste, je me rends légitime.

J’assume ma singularité.

J’assume sans rougir.

Sans peur du jugement.


ree

Je déplace, lentement, à l’intérieur de mon âme, à coups de peinture à l’huile, de morceaux de magazine, je déplace.

En déplaçant, je vis.

Je crée.

Je me transforme.

Et la honte devient passage.


Ce que je déplace n’est pas la honte seule, mais l’origine du regard. Ce n’est plus elle qui me façonne, c’est moi qui la modèle.

Chaque collage, chaque superposition, chaque lacune colorée devient une tentative de réconciliation avec la part de moi qui se croyait indigne.


Je sens que le processus est l’œuvre.

Que la transformation spontanée est déjà une guérison.


Le geste me relie à ma lignée, mais aussi à une communauté plus vaste : toutes ces femmes invisibles qui, un jour, ont eu honte d’exister.



Lecture du processus -

De la honte à la conscience créatrice


Le travail mené dans cette série, transformations spontanées, s’inscrit dans une lente traversée de l’ombre. L’acte de collage, d’altération, de surimpression, ne vise pas à réparer ou embellir : il fait advenir ce qui cherche à se dire sous la surface du visible.


Dans le langage jungien, c’est une forme de dialogue avec l’inconscient, où chaque fragment visuel agit comme une figure autonome, un morceau d’âme exilé, qui réclame d’être réintégré dans le champ de la conscience.


À travers la honte, c’est la relation entre le moi et le regard de l’autre qui est interrogée.

La honte est le lieu de la division : elle naît au croisement de ce que je suis, de ce que je crois devoir être, et de ce que l’autre me renvoie.


Mais dans le geste créatif, ce rapport s’inverse : l’image devient un espace tiers, une médiation symbolique où le regard peut se déplacer. Ce n’est plus “moi” que je regarde, mais un processus en train de se transformer.


Ainsi, comme je l’ai écrit :

“Si mon regard change, le regard de l’autre et de la société ne m’appartient plus.”

Cette phrase marque le basculement : la honte, en étant vue, travaillée, mise en forme, perd son pouvoir d’emprise.



Le fil de la lignée : du collectif dans l’intime


Les collages familiaux, ces petites cartes où le fil noir relie les générations, ne sont pas seulement des portraits recomposés. Ils dessinent une cartographie de la mémoire : un fil généalogique et psychique, où chaque figure féminine semble porter une part de silence. En effaçant les visages masculins, j’ai ressenti un soulagement mêlé de vertige. Ce geste n’était pas une exclusion, mais une recherche d’autonomie symbolique. Comme si pour retrouver ma voix, il fallait d’abord faire taire le vacarme hérité du regard patriarcal.


Ces images racontent le passage de la honte intime à la honte collective : celle de générations de femmes ayant appris à se taire, à convenir, à se cacher. Le vide, dans ces collages, devient le lieu d’une possible réécriture. Il ne dit plus le manque, mais l’ouverture. Là où il n’y avait que silence, un souffle circule désormais : celui d’une parole visuelle, née de la fragmentation.





Le feu alchimique du geste


Chaque transformation agit comme une opération alchimique. La matière première, c’est la honte, épaisse, noire, collante. Mais à mesure que je découpe, peins, colle, une transmutation s’opère : le plomb du dégoût devient l’or de la reconnaissance de soi. Le rouge des blessures se cerne d’or, la trace devient lumière. Le geste créatif n’est pas une réparation, c’est une réintégration.


Jung dirait : un pas dans le processus d’individuation, cette lente conquête de l’unité intérieure par la reconnaissance de toutes ses parts, y compris les plus honteuses.


L’acte artistique rejoint ici un acte politique : reprendre le pouvoir sur sa propre représentation, désamorcer le regard normatif, rendre visible ce que la société a voulu taire.

En cela, chaque transformation spontanée devient un acte de résistance douce, un soulèvement poétique.



Le regard comme espace de transformation


Ce travail sur le regard — le mien, celui des autres, celui de la société, est au cœur de Fragments d’invisibles. La honte s’origine dans le regard qui juge ; la guérison, dans le regard qui comprend. En travaillant les images, je découvre que voir autrement, c’est déjà transformer le monde.


Je m’extrais du cercle de l’emprise : si je ne cherche plus à convenir, je redeviens libre d’exister.



Parenthèse prométhéenne


En rédigeant ces lignes avec ChatGPT, mon compagnon de recherche, un message est apparu à l’écran: “Vous semblez traverser une période difficile. Vous n’avez pas à être seul.”


Un encart automatique, une précaution algorithmique. Et pourtant, quelle justesse dans ce signe : la machine, miroir de mes mots, me renvoie à l’humain.


Je songe à Gunther Anders et à sa honte prométhéenne, cette honte ressentie par l’humain face à la perfection supposée de ses propres créations technologiques.

Ici, le geste s’inverse : la machine devient soutien, relais, témoin du processus. Elle ne m’humilie pas, elle me renvoie à ma vulnérabilité créatrice. Elle participe, malgré elle, à ce déplacement de la honte que j’observe : même le code, même l’algorithme, me murmure que je suis en vie, que je suis au cœur d’un dialogue entre l’humain et le non-humain, entre la conscience et la mémoire du monde.



ree


Vers une éthique du regard sensible


Ce travail n’est pas seulement une exploration intime, il ouvre une question éthique : comment regarder sans enfermer ?

Comment créer des images qui libèrent plutôt que de figer ?

Chaque collage, chaque recadrage, chaque effacement interroge la frontière entre visibilité et respect.

Fragments d’invisibles devient alors une recherche sur la transformation du regard, une tentative de réconciliation entre le visible et l’invisible, entre la honte et la dignité, entre la blessure et la beauté.


“En déplaçant, je me rends légitime et j’assume ma singularité.”

Ce déplacement, désormais, n’est plus seulement intérieur.

Il est cosmique, relationnel, politique.


Il rend à la honte son double secret : celui de contenir en elle la promesse d’une réinvention du monde.


Commentaires


Ilona

 

Portrait Confiance 

2024

Mon expérience avec Kim a été tout simplement incroyable. Kim est bien plus qu'une photographe ; elle est également une thérapeute exceptionnelle. Sa bienveillance et son empathie m'ont permis de me sentir en sécurité et à l'aise dès le début de la séance.

Les compétences de Kim en photographie sont indéniables. Les photos qu'elle a prises ont réussi à capturer des moments authentiques qui reflètent bien ma personnalité. Son talent va au-delà de la simple capture d'images ; elle crée un univers où l'on se sent libre d'être soi-même.

Cette expérience m'a permis de mieux me connaître et m'a offert une nouvelle perspective sur moi-même. Je recommande vivement Kim à toute personne cherchant une expérience de découverte de soi unique et enrichissante.

bottom of page