Corpus 9 - La parfaite
- Kim Leleux

- 11 nov.
- 2 min de lecture
J’ai voulu être parfaite, puis j’ai choisi d’être vivante.

Performance photographique et photographie symbolique
Novembre 2025
Figure archétypale de la honte : La Parfaite
J’ai ressenti de l’amusement à déconstruire le cliché du corps parfait. Installer le mannequin, chercher la lumière, composer avec les feuilles d’automne : tout cela participait d’un paradoxe.
Je voulais une belle image, presque trop belle, comme pour révéler que la véritable beauté ne se trouve pas dans la perfection des formes, mais dans l’accord naturel entre le corps, le temps et la lumière.
La nature, avec ses feuilles tombantes et ses nuances, m’a rappelé que la perfection, au sens social, est une illusion. Dans la nature, tout est juste ; dans l’humain, la quête de perfection devient contrôle, donc aliénation.
Pendant la prise de vue, je me suis sentie observée : un voisin, une voiture, une voisine. D’abord amusée, flattée même, d’être regardée, je me suis soudain figée. Honte d’être vue dans ce moment de jeu et de vulnérabilité.
Cette bascule m’a frappée : le regard social se faufile jusque dans la création, même quand on croit s’en être affranchi.
En retravaillant les images le lendemain, j’ai ressenti une nouvelle honte : celle de mon apparence.

Je me suis trouvée laide, fatiguée, vieillie.
Alors j’ai modifié la photo : lissé le visage, agrandi la poitrine, effacé les traces de vie. Je me suis métamorphosée en un simulacre, comme les mannequins que je photographiais. Mais plus j’ajustais, plus je me perdais.
J’étais devenue figée, dépersonnalisée, vidée de mon souffle.
Quand j’ai montré l’image à ma fille, elle a murmuré :
« C’est toi… mais en même temps, c’est pas toi. »
Cette phrase a tout résumé: la perfection tue la vie.

La honte liée à la perfection est une honte de servitude.
En contrôlant les corps, la société contrôle les âmes.
Ce que l’on appelle « beauté » devient une norme d’obéissance : se conformer, se lisser, disparaître derrière une image approuvée.
Pour exorciser cette emprise, j’ai performé contre le mannequin.
Je lui ai ri au nez, donné des coups, posé le pied dessus : gestes cathartiques et libérateurs.
Ces actions m’ont reconnectée à ma vitalité, à la femme vivante et imparfaite que je suis fatiguée, joyeuse, rigolote, incarnée.

Le mannequin représente ici l’archétype du corps idéal : lisse, figé, docile, sans faille. Il incarne la honte du vivant.
Dans la figure de La Parfaite, la honte devient instrument de contrôle :
Honte d’être vue telle qu’on est.
Honte d’être imparfaite, vulnérable, humaine.
Honte d’avoir honte.
Mais c’est précisément dans la déconstruction du mythe que réside la libération.
Le geste performatif, l’humour, le corps en action viennent fissurer l’image.
La Parfaite révèle ainsi le pouvoir du regard social, mais aussi la force du refus : se réapproprier son image, c’est déjà rompre avec la servitude du miroir.












Commentaires